“Via Parma, 14”

testo in catalogo di Robert Pujade

“Transfigurations du quotidiens”          

Dans une série de photographies totalement inédites, Cesare Di Liborio qui s’est montré attentif à un moment de son œuvre au monde des objets, entreprend de montrer une sélection de vues toutes extraites de son «chez soi». Au cours de cette expérience visuelle, il ne cherche pas à nous faire connaître sa maison ou même son intimité, mais, aussi étrange que cela puisse paraître, il vient nous faire partager sa découverte d’un autre monde, d’un monde modifié par l’expertise photographique.

Cette exploration par l’objectif photographique jalonne des endroits communs à tout intérieur : la cuisine, les chambres, les salles de toilette, tous ces lieux où un équilibre stable s’est instauré au gré de gestes chaque jour répétés, Mais il apparait très vite que les cadrages qui y sont opérés font surgir des zones de déséquilibre qui défient l’ordre des choses et imposent de nouveaux repères. Tout d’abord une reconsidération de la notion d’objet.

Tantôt l’objet usuel perd son identité parce qu’il est tronqué et, n’étant plus reconnaissable que par l’un ou l’autre seulement de ses composants, il devient la partie d’un nouveau tout recomposé par la photographie. Saisi par son angle supérieur droit, le cintre du valet de nuit, par exemple, amorce une métamorphose : il s’impose comme un idéogramme à la suite de petites écritures apposées au mur par les tortillons d’une lumière filtrée par des rideaux. A l’angle de deux murs, une applique lumineuse, séparée du bas de la pièce quelle éclaire, se présente comme un bénitier dans une atmosphère recueillie.

Tantôt l’objet recadré perd sa valeur d’usage et tend à faire rayonner son autonomie, On reconnaît ainsi à peine les pieds métalliques d’une table à repasser qui, dans un contre-jour, composent avec une rallonge électrique une œuvre d’art informel. Dans un autre plan, un robinet semble à lui seul projeter une lumière intense sur la vasque d’un lavabo.

Chaque cadrage délimite un objet d’une espèce nouvelle, ou plutôt un objet redéfini dans un contexte choisi par la photographie : il s’agit, en quelque sorte, d’une pratique de transfiguration. Le tour de force ou de magie du photographe est de ne pas être sorti de chez lui pour réaliser un sujet sans personnages, sans autre présence que le milieu dans lequel il a l’habitude de vivre alors même que la quotidienneté est réputée indésirable. Il parait évident, en effet, que le décor de notre quotidien ne vaut pas la peine que nous le visitions, qu’il mérite encore moins que nous le fixions d’un regard plein de désir, parce qu’il est constamment à la disposition de notre perception, entièrement adapté à nos fins utilitaires et pour cela toujours déjà vu avant même que nous le percevions. Sa transfiguration suppose que nous transformions notre propre comportement au point que notre regard devienne une incursion de l’étrange au plein cœur du familier.

C’est ce que réalise Cesare Di Liborio en récupérant pour son univers intime la puissance d’étonnement que son regard a su développer pour de tout autres sujets, Plus complexe que l’autoportrait. le voyage à l’intérieur de chez soi suppose que le photographe s’excepte des conditions même de sa propre présence dans ses aitres. Il montre par là que tout le visible est passible d’une conversion au poétique et que l’art du photographe est de conférer un mode d’existence singulier aux choses les plus anodines, La photographie, en effet, est génératrice d’espaces de lisibilité différents de ceux qui se trament habituellement entre les mots et les choses de notre quotidien.

Robert Pujade